Les vieilles tiges de l'aviation belge

Hélène Dutrieu, première aviatrice belge, pionnière de l'aviation féminine, membre d'honneur à titre posthume de la Société royale

Alphonse Dumoulin et Robert Feuillen

I. La personnalité

Née à Tournai le 10 juillet 1877.
Jeune sportive, championne cycliste, motocycliste et automobile de classe internationale.
Pilote d’avion, détentrice du premier brevet féminin attribué en Belgique; deuxième aviatrice au niveau mondial.
Infirmière et ambulancière volontaire pendant la première guerre mondiale.
Journaliste et administratrice de publications éditées en France.
Honorée de plusieurs distinctions belges et françaises.
Titulaire de la Croix d’officier de la Légion d’Honneur.
Son nom a été donné à une avenue de Tournai-Warchin.
Membre associée fondatrice des Vieilles Tiges belges.
Membre d’honneur à titre posthume de la Société royale Les Vieilles Tiges de l’Aviation belge.
Décédée à Paris le 26 juin 1961.

 Sa carrière aéronautique

  • Attirée par l’aviation naissante, Hélène Dutrieu commence à 31 ans son apprentissage sur avion. Elle obtient en 1910 le brevet de pilote belge n° 27, le premier accordé chez nous à une femme. Elle devient ainsi la deuxième aviatrice brevetée d’Europe.
  • Remarquée pour son audace, elle est invitée à se produire dans de nombreuses compétitions et à participer à des meetings aériens en Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Suisse, en Italie, en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
  • Elle remporte la Coupe Fémina en 1910 et 1911 et est recordwomen de durée de vol, d’altitude et de distance.
  • Au début de la première Guerre mondiale, en 1914, elle renonce à l’aviation et s’engage comme infirmière et ambulancière au service de la Croix Rouge et des forces armées.
  • Après la guerre, elle s’essaye au journalisme et épouse en 1922 Pierre Mortier, colonel, journaliste, homme de lettres et député français. Jusqu’à la mort de son mari en 1946, elle le seconde dans l’administration des publications qu’il anime.
  • Dorénavant et jusqu’à son décès, elle se consacre à la promotion du sport aérien féminin et crée en 1956 la "Coupe Hélène Dutrieu-Mortier", une épreuve réservée aux aviatrices belges et françaises en compétition sur longue distance.

II. Curriculum vitae

Hélène, Marguerite, Marie, fille de Florent, Désiré Dutrieu et de Marie, Clotilde Van Tieghem, naît le 10 juillet 1877 à Tournai, au domicile de ses parents, rue Saint Éleuthère. La naissance est consignée le 13 juillet sous le numéro 481 du registre communal que signent l’échevin Delwart et le père de l’enfant. Hélène a un frère aîné, Eugène, né lui aussi dans le Tournaisis le 26 octobre 1872.

Tôt dans sa jeunesse, elle quitte l’école afin de subvenir à ses besoins. À 14 ans, elle choisit d’exercer ses dons sportifs dans le cyclisme de compétition. Eugène Dutrieu, son frère aîné, est déjà un coureur cycliste populaire dans la région et dans le Nord de la France et dirigera plus tard le Cirque-Excelsior-Dutrieu. Hélène va certes s’inspirer de son exemple. Elle prend part en 1895 aux premières courses réservées aux dames sur le vélodrome de Tournai et s’adjuge le record de l’heure.

Rapidement devenue une cycliste professionnelle, elle s’inscrit au championnat de vitesse sur piste organisé à Ostende en 1897 et remporte la prestigieuse épreuve; ce qui lui vaudra le surnom de "La flèche humaine".

En août 1898, elle remporte le "Grand Prix d’Europe" puis en septembre, la course cycliste des "Douze jours de Londres".

Le roi Léopold II récompense les succès répétés de la talentueuse sportive en lui décernant en 1898 la "Croix de Saint André" avec diamants.

Sans trêve ni repos, elle se produit dans de nombreux spectacles ; notamment en 1903 à Marseille puis à Londres, elle réalise un acrobatique numéro de cirque dans lequel elle effectue un véritable "looping" sur une piste spéciale conçue pour cette audacieuse démonstration. Elle est partout très appréciée pour ses spectaculaires exhibitions à vélo, à moto et en automobile.

Elle sera, pendant un temps, "sponsorisée" par Simpson, fabricant britannique de "chaînes à leviers spéciales pour vélos" qui l’a enrôlé dans le "Simpson Lever Chain Racing Team".

Ses tournées internationales l’amène en France où, en 1908, le constructeur Clément-Bayard, impressionné par l’audacieux petit bout de femme, lui demande d’être le premier pilote féminin de l’avion "La Demoiselle", un appareil monoplan très léger conçu par Santos-Dumont. C’est le grand tournant de sa vie: Hélène Dutrieu, qui a vu voler Wilbur Wright au Mans, veut être aviatrice et accepte la proposition.

Ses débuts sur le terrain d’Issy-les-Moulineaux sont difficiles : insuffisamment préparé, le premier vol tourne court. Le "Demoiselle" est détruit. Mais le goût de l’aventure et de la compétition la pousse à bandonner le "Demoiselle" et à chercher un avion plus performant.

Le 9 avril 1910, Hélène Dutrieu peut enfin mener à bien un premier vol d’une vingtaine de minutes à Mouzon, dans les Ardennes françaises, sur un gros biplan construit par Sommer et propulsé par un moteur belge Vivinus de 40 cv. Confortée par ce succès, elle reprend l’air avec le même avion le 19 avril et devient ainsi la première aviatrice à avoir fait un vol avec un passager.

Un brevet de pilotage étant exigé en France à partir de 1909, elle passe par l’école Farman à Mourmelon. Pour des raisons administratives (elle est belge…), lors des épreuves organisées le 23 août 1910, l’Aéro-club de France décide de ne pas lui accorder son brevet.

Elle s’en va donc voler en Belgique où une licence de pilotage n’est pas encore strictement exigée, ce qui lui permet d’honorer un engagement pris avec les organisateurs d’une fête aérienne à Blankenberge. Aux commandes de son biplan Farman, elle décolle de la plage le 3 septembre 1910 avec à bord un passager, son mécanicien Béaud. Elle met le cap vers Ostende puis vers Bruges qu’elle survole avant de revenir à Blankenberge. Sans que ce soit prémédité, Hélène Dutrieu réussit au cours de ce seul vol triangulaire sans escale plusieurs grandes premières féminines qui la font entrer dans la légende de l’aviation mondiale.

Elle participe encore à d’autres meetings belges, notamment à Menin, Braine-le-Comte, Liège, Kiewit et Anvers. Elle prend part à la Coupe Groningen aux Pays-Bas et vole en Grande-Bretagne.

Tenant compte de ces performances remarquables, elle se voit décerner le 23 novembre 1910 le brevet belge n° 27 de pilote d’aéroplane, juste avant celui de Georges Nélis, premier aviateur militaire. C’est le premier brevet avion que l’Aéro-club de Belgique attribue à une femme.

Récemment brevetée mais déjà aviatrice expérimentée, elle va dès ce moment ajouter à son palmarès de prestigieuses performances. Après avoir en 1910 participé en Russie au meeting d’Odessa sur un avion Sommer, puis, sur un avion Farman-Gnome, à la Coupe Gordon-Bennett organisée à New-York, elle remporte le 5 décembre à Étampes la première édition de la Coupe Fémina avec un parcours de 60 km 800 en 1 h 9 min. Elle est la première aviatrice à tenir l’air pendant plus d’une heure.

Au cours de l’année 1911, Hélène Dutrieu prend part à de nombreuses épreuves et exhibitions en Europe et en Amérique du Nord. En Italie, elle remporte à Florence la « Coupe du Roi », une course de vitesse et d’endurance, devançant treize aviateurs masculins dont des champions incontestés de la discipline comme les Français Vedrine et Tabuteau. En octobre, elle retourne aux États-Unis où elle inscrit son nom au tableau des records féminins américains, dont un vol de 1 h 5 min et une distance de 136 miles. Le 31 décembre de la même année, elle est en France, à Étampes, où elle remporte pour la deuxième fois la Coupe Fémina avec des performances en forte progression : 254 km 800 en 2 h 58 min de vol.

L’année 1912 est marquée par l’avènement de "l’hydro-aéroplane" à flotteurs ou à coque. Cette nouveauté conduit à l’organisation d’épreuves spéciales pour les appareils ainsi transformés. La première épreuve qui a lieu en avril à Monaco est remportée par le Belge Fischer sur un Farman-Gnome. Hélène Dutrieu devient en juillet la première femme au monde à voler sur hydravion.

Pour l’ensemble des performances de classe internationale qu’elle a réalisées en ce court espace de temps sur des avions français, Hélène Dutrieu se voit conférer le 9 janvier 1913 par le gouvernement français la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur. En Belgique, le gouvernement la fait, dans les Ordres nationaux, Officier de l’Ordre de Léopold.

Au cours de l’été 1914, le déclenchement des hostilités de la Première Guerre mondiale met fin à la courte mais exceptionnelle carrière d’aviatrice d’Hélène Dutrieu, les femmes n’étant plus autorisées à voler. Au début du conflit, elle se met au service de la Croix Rouge française comme ambulancière. Puis, à la demande du Général Février, on lui confie la direction des ambulances de l’hôpital Messimi.

Mais son prestige resté intact incite le Général Gallieni, futur Ministre de la Guerre, à lui demander de participer à des tournées de conférences de propagande aux États-Unis où son nom reste célèbre. Elle s’acquitte de cette mission civique en 1915 et 1916.

Revenue en France, elle exerce jusqu’à la fin de la guerre la direction de l’hôpital militaire du Val de Grâce.

Après la fin du conflit en 1918, Hélène Dutrieu qui a 41 ans se lance dans le journalisme. En 1922, elle épouse Pierre Mortier, journaliste, écrivain et député français. Son mariage lui confère la nationalité française. Pierre Mortier confie à son épouse l’administration des publications qu’il anime.

En 1946, à la mort de son mari, elle abandonne les charges d’administration qu’il lui avait confiées et se consacre dorénavant à la promotion de l’aviation. Elle est Vice-présidente de la Section féminine de l’Aéro-club de France et crée en 1956 un prix féminin franco-belge, la "Coupe Hélène Dutrieu-Mortier", pour récompenser chaque année l’aviatrice qui, seule à bord, aura couvert la plus longue distance en ligne droite sans escale.

III. Les réalisations exceptionnelles

Le cadre historique et social

Quand à la fin du 19e siècle naît Hélène Dutrieu, les temps sont durs pour sa famille. Son père est sans emploi. Elle doit assez vite abandonner ses études et prendre son indépendance pour gagner sa vie. À 14 ans, elle n’a pas de métier mais se sent capable de subvenir à ses besoins en s’engageant dans la voie nouvelle de la compétition cycliste qui s’ouvre timidement à une participation féminine.

 Ses débuts sont prometteurs : fille de petite taille et légère, elle enthousiasme les foules par ses exploits sportifs, en particulier dans les courses de vitesse sur piste qu’elle remporte souvent en battant des records. Les journalistes lui inventent le surnom de "La flèche humaine". Sa réputation dépasse largement les frontières de la Belgique: elle fait de nombreux déplacements pour aller glaner de nouveaux lauriers dans les pays voisins et même outre-Atlantique.

En plus de ses qualités sportives, Hélène Dutrieu a aussi le don du spectacle. Son frère aîné, Eugène, qui fit aussi de la compétition cycliste, dirige un cirque baptisé du nom de la famille.

Entre les compétitions cyclistes, elle participe ainsi à de grandes manifestations populaires où elle aime se produire dans des numéros acrobatiques à vélo, à motocyclette et en automobile. Des prestations qui révèlent d’autres dons exceptionnels d’audace, d’inventivité et de résistance physique dans les sports moteurs.

Ce qui l’amène tout naturellement à s’intéresser à cet autre sport moteur qu’est l’aviation naissante : le "Flyer" des frères Wright a volé en 1903 aux États-Unis.

Lorsqu’en décembre 1908 on propose à Hélène Dutrieu, qui a 31 ans, de piloter le "Demoiselle", il n’y a dans le monde que bien peu d’hommes qui ont réussi tant bien que mal à faire voler un avion. Aux États-Unis et dans quelques pays européens dont la Belgique, ils sont environ une vingtaine d’audacieux à tenter de maîtriser ces "drôles de machines". C’est le temps des précurseurs.

Le "Demoiselle n°19" monoplan léger (environ 125 kg).
C’est sur ce type d’avion que Hélène Dutrieu fit ses débuts en 1908.
 

C’est en 1908, au mois de mai, que le Français Henri Farman est le premier à faire voler un avion dans le ciel de Belgique, aux environs de Gand. En novembre, autre grande première: le baron Pierre de Caters est le premier citoyen belge à voler au-dessus de notre territoire, en région anversoise cette fois.

Mis à part quelques installations militaires, il y a peu de terrains officiellement affectés à la pratique du vol à moteur: on utilise vaille-que-vaille de grandes prairies ou des landes sommairement aménagées. Et les audacieux précurseurs ne doivent pas encore détenir une licence de qualification. Qui d’ailleurs en délivrerait ? Il n’y a pas encore d’école de pilotage reconnue ni de réglementation officielle sur le sujet: on laisse donc voler ceux qui veulent en prendre le risque.

En 1909 pourtant, l’Aéro-club de France qui délivre déjà des brevets pour les ballons et pour les dirigeables, décide d’en exiger aussi pour le pilotage d’un aéroplane. Cette décision entraîne la naissance d’écoles pour dispenser une formation élémentaire à ceux, assez nombreux, qui envisagent l’achat d’un monoplan ou d’un biplan que quelques constructeurs proposent sur ce nouveau marché du "plus lourd que l’air".

  

Hélène Dutrieu passagère du célèbre Henri Farman,
ici aux commandes d'un de ses avions.

C’est en 1909 également que l’Aéro-club de Belgique, fondé en 1901, commence à délivrer des brevets avions. Le brevet n° 1 est accordé au baron Pierre de Caters.

C’est donc sans aucun brevet qu’à ses débuts, en 1908, Hélène Dutrieu va s’essayer à piloter le "Demoiselle". Mais dès 1909 – nouvelle réglementation oblige – elle s’inscrit à l’école de Mourmelon créée par Henri Farman ; elle s’entraîne sur biplan Farman à moteur Gnome.

                              Elle aurait pu être la première aviatrice brevetée au monde! Mais lorsqu’en 1910 elle se présente devant les examinateurs de l’Aéro-club de France, malgré les performances remarquables qu’elle réalise, la licence lui est refusée (pour des raisons administratives, dit-on). Elle sera "coiffée" par Elise Deroche (qui se fait appeler baronne de la Roche) qui devient ainsi le 8 mars 1910 la première femme à détenir le précieux document.

Sous la pression de Farman qui souhaite pouvoir l’inscrire dans les fêtes aériennes et les compétitions officielles, Hélène Dutrieu accepte de mauvaise grâce de présenter une deuxième fois l’épreuve du brevet de l’Aéro-club de France: elle est cette fois reçue sans difficulté.

Les faits marquants

Après l’époque des exploits à vélo, à moto et en auto qui jalonnent sa jeunesse, l’épopée de l’aviatrice Dutrieu commence à l’âge mûr et elle sera de courte durée: de 1908 à 1914, arrêtée par la Grande Guerre.
















Souriante et décontractée, haut perchée au poste de pilotage de son avion.
(A noter : les chaussures fines à talons)

Elle a 31 ans lorsqu’elle décide d’affronter les risques inévitables d’une aviation naissante, encore balbutiante, dont les progrès se font de manière souvent empirique: les pannes, les vols avortés, les nombreux accidents sont pour ces précurseurs les seuls indicateurs de ce qu’il faut faire et de ce qu’il ne faut plus faire.

Hélène Dutrieu fit partie des vaillants et intrépides "pilotes d’essai" qui faisaient progresser l’aviation un peu chaque jour. Pionnière parmi les pionniers, son expérience et ses conseils furent écoutés, tout particulièrement chez Henri Farman dont dès 1909 elle utilise les avions avec lesquels elle s’empare de nombreux records et fait des démonstrations spectaculaires.

Parmi les faits marquants de sa carrière, il faut d’abord mettre en exergue le vol triangulaire Blankenberge-Ostende-Bruges et retour qui fait entrer Hélène Dutrieu dans la légende de l’aviation mondiale.

Presque sans le savoir, elle venait ce 3 septembre 1910 de réussir en Belgique plusieurs grandes premières :

  • première femme au monde à avoir entrepris un vol au-dessus de la campagne
  • première aviatrice ayant emmené à son bord un passager
  • premier aller-retour sans escale de ville à ville par une femme
  • premier aller-retour sans escale de ville à ville avec passager par une aviatrice
  • record officieux d’altitude : environ 400 m
  • record officieux de durée de vol : environ 40 min
  • record officieux de distance en circuit : environ 45 km.

En 1910 et 1911, ses deux victoires successives dans la Coupe Fémina démontrent la part décisive qu’elle prend dans le progrès des techniques de la construction et de la motorisation des "plus lourds que l’air": en une année les résultats enregistrés par l’aviatrice victorieuse passent de 60 km 800 en 1 h 9 min à 254 km 800 en 2 h 58 min.



Au poste de pilotage de son Farman III aux Etats-Unis (vers 1912)

Aux États-Unis, la grande nation où l’aviation est historiquement née en 1903, les prestations d’Hélène Dutrieu en 1910 et 1911 démontrent au public et aux constructeurs aéronautiques nord-américains que les appareils développés en Europe se sont portés techniquement au plus haut niveau de la "locomotion aérienne moderne". Elle s’adjuge plusieurs records féminins américains dont le record de distance avec 136 miles.



Aux Etats-Unis, probablement en 1912 lors d'un de ses vols

Aux Etats-Unis, probablement en 1912 lors d'un de ses vols Chez Henri Farman à Mourmelon, Hélène Dutrieu a été chargée de la promotion de la marque: alliant vaillance, intelligence et grâce, elle y réussit fort bien. Dans l’équipe avec laquelle elle travaille, la Belgique est bien représentée: elle y côtoie de talentueux compatriotes, les pilotes Jules Fischer et Jan Olieslager.

Autre grand moment: la "Coppa del Re", la Coupe du roi d’Italie disputée à Florence en 1911. Hélène Dutrieu y fait une démonstration époustouflante de ses qualités de pilote en damant le pion à pas moins que treize pilotes masculins spécialistes de cette discipline – vitesse et endurance – qui exige patience et nerfs d’acier.

L’évènement ultime de sa carrière active d’aviatrice fut la prise en main réussie de "l’hydro-aéroplane", une nouveauté que les constructeurs proposent sur le marché en 1912. En juillet, sur le lac d’Enghien, en Val d’Oise, Hélène Dutrieu devient la première femme au monde à piloter un hydravion. Puis en août, aux commandes de son biplan Farman à moteur Gnome 50 cv, elle est en Suisse au meeting d’Ouchy-Lausanne.

Face à des concurrents qui volent sur des hydravions monoplans et biplans dotés d’un moteur plus puissant que son Gnome, sa science du pilotage lui permet de remporter un prix de ce meeting relevé. D’autres épreuves pour hydravion ont lieu en 1913 à Monaco, à Deauville ainsi que sur le lac de Côme en Italie où, dit-on, Hélène Dutrieu se montra si persuasive que le gouvernement italien commanda des hydravions à Henri Farman.

Récompense insigne pour une femme, Hélène Dutrieu devient en 1913 la première aviatrice à recevoir la Croix de Chevalier de la Légion d’honneur.

IV. Épilogue

Voilà donc la vie fascinante, pleine d’aventures, de hauts-faits et de succès, qu’a vécu Hélène Dutrieu. Son courage, sa ténacité, sa sportivité dans les épreuves, l’excellence de ses dons d’aviatrice et son sens inné de l’humour ont été appréciés de par le monde qu’elle a sillonné aux commandes de ses chers Farman.

Elle fut gentiment surnommée la "Flèche humaine" par les journalistes étonnés par ses succès dans les épreuves de vitesse à vélo ; ses amis l’appelaient "Quart de Vichy", évoquant ainsi sa taille menue ; elle fut connue aussi comme "girl hawk of aviation" (femme épervier) pour les manœuvres aériennes audacieuses qu’elle introduisait dans ses présentations.

 Hélène Dutrieu eut, à l’automne de sa vie, la satisfaction de voir s’exprimer largement la continuité de la reconnaissance officielle et publique de ses exploits de jeune femme. Elle reçut en 1953 la Médaille de l’Aéronautique française. Le gouvernement français, en 1955, l’éleva du titre de Chevalier à la dignité d’Officier de la Légion d’Honneur. Dans les Ordres nationaux, le gouvernement belge lui décerna en 1958 le titre d’Officier de l’Ordre de Léopold.

Après son décès, le souvenir de son œuvre pionnière ne s’est pas évanoui. Elle fut à titre posthume faite membre d’honneur de la Société Royale "Les Vieilles Tiges de l’aviation belge".

En 1998, les échos anciens de sa réputation de "championne des casse-cous", de "garçon manqué" et de "géniale touche-à-tout" ont décidé une jeune fille du Collège Sainte-Gertrude de Nivelles à consacrer à Hélène Dutrieu une intéressante biographie à inclure dans un travail scolaire intitulé "Les femmes pilotes dans l’aviation du 20e siècle".

Lors d’une de ses réunions de 2005, le Conseil communal de Tournai a décidé de baptiser "Avenue Hélène Dutrieu" une artère de sa commune natale.

A travers ce qui fut abondamment écrit et dit à son sujet, Hélène Dutrieu se range plutôt au rayon des audacieuses, des intrépides, des fonceuses, des cascadeuses terrestres et aériennes. Et pourtant, sur les photos que nous avons d’elle, le plus souvent aux commandes d’un avion, elle montre une agréable décontraction et elle affiche souvent le joli sourire d’une femme bien dans sa peau. Une "wonder lady", disait la presse anglo-saxonne. Voila probablement la source d’inspiration d’un auteur français d’aujourd’hui, l’ingénieur Gérard Hartmann, qui en 2005 a consacré à cette femme joviale et pleine d’humour une étude historique et technique qu’il intitule tout simplement "La divine Hélène Dutrieu".

Incontestable grande pionnière de l’aviation naissante, Hélène Dutrieu s’est éteinte le 26 juin 1961 à l’âge de 84 ans; elle habitait 7, rue Chalgrin dans le XVIe arrondissement de Paris.

V. Bibliographie

LEFEBVRE Gaston – Biographies tournaisiennes XIXe – XXe siècles - Tournai 1990.

LES VIEILLES TIGES DE L’AVIATION BELGE (Société Royale) – Livre d’Or de l’association

ADMINISTRATION COMMUNALE DE TOURNAI (Service Archives – Mme Laurette Locatelli) – Renseignements d’état-civil et indications historiques et topographiques.

GERARD Jo – Les femmes belges dans notre histoire – Éditions Byblos – 1983.

HARTMANN Gérard – La divine Hélène Dutrieu – Site www.hydroretro.net/etudegh/ Ed 26.12.2005

LAUWERS Jean-Pierre – Biographical notes Hélène Dutrieu – Site www.earlyaviators.com – 2007

PARY Sarah – Les femmes pilotes dans l’aviation du 20e siècle – Collège Sainte-Gertrude/6e B Nivelles – Année scolaire 1997-1998


Au poste de pilotage d'un Farman III (vers 1912)

VI. Annexe

Photos & documents

Dans une tenue de vol soignée et très féminine, l'aviatrice et son "Demoiselle"

A Etampes sur son Farman, Hélène Dutrieu remporte en 1910 la première édition de la Coupe Fémina

L'affiche our le meeting de Burton-on-Trent (1910) annonce
qu'Hélène Dutrieu volera avec passager, fait rare pour une aviatrice.

Avec son mécanicien Béaud comme passager
(Probablement vers 1910, pour son vol triangulaire record avec passager
Blankenberge-Ostende-Bruges et retour)

Souvenir du passé

 

Sans que nous en connaissions l’origine, nous avons trouvé un bref texte attribué à Hélène Dutrieu. Il aurait été écrit en été 1958 lors de la mort de Henri Farman, pilote et pionnier de la construction aéronautique en France qui avait fait confiance à la jeune belge en lui confiant le pilotage de ses avions. Ces quelques phrases de notre première aviatrice sont comme un coup de projecteur bienvenu sur des détails personnels de sa fructueuse collaboration avec le grand précurseur.
 

"J’étais sa plus vieille camarade. Il était toute mon adolescence, toute ma jeunesse. J’avais 15 ans que je le connaissais déjà. Les trois Farman s’entrainaient en tandem et quand j’arrivais sur la piste, gamine, ma natte sur le dos, Henri, toujours aussi gentil, me criait : Allons, allons, Dutrieu, vous allez venir, on vous emmène. Et je suivais, pédalant de toutes mes forces. La vie nous sépara. Je retrouvai Henri Farman en 1902. Il habitait alors du côté de Montmartre, un grenier qu’il avait aménagé délicieusement en atelier d’artiste. Je lui fis connaître le directeur de Gil Blas., Pierre Mortier(1) . Ils sympathisèrent et devinrent une paire d’amis.

Combien de fois n’avons-nous pas grimpé son petit escalier pour passer la soirée et parler peinture.

A Issy, l’aviation naissait déjà. Henri Farman en était un pionnier passionné. Il travaillait avec acharnement sur l’avion qu’il avait conçu, progressait chaque jour alors que moi sur la pauvre Demoiselle, je tombais chaque matin. Après son glorieux vol auquel nous assistâmes pleins d’enthousiasme, j’abandonnai la Demoiselle pour Mouzon et Sommer.

Je ne m’accordais pas avec Sommer et de suite après mon malheureux vol d’Odessa(2) , je m’empressai de rentrer à Paris.

Dans l’intervalle, Henri Farman était devenu constructeur. J’allai lui demander un avion auquel je restai fidèlement attachée. Pendant longtemps, nous ne nous quittions guère : Mourmelon, Étampes, la Coupe Michelin par laquelle s’entrouvrait pour moi la Coupe Fémina. Entre chaque étape, pendant mes nombreux voyages, j’étais heureuse de lui demander ses conseils. Pour moi, pour mon poids plume, il construisit même un merveilleux petit appareil qui me permit de lutter avec les aviateurs, de gagner la Coupe du Roi à Florence et de trouver la gloire aux États-Unis. Puis voilà 14-18, plus d’aviation pour moi. Je me mariai et obliquai sur un tout autre chemin.

Je devais revoir Henri Farman après de longue années au dîner de la ………( ?). Avec quelle animation n’avons-nous pas remué nos vieux souvenirs.

Aujourd’hui je viens de le revoir pour la dernière fois, calme, serein dans son dernier sommeil. Il m’a semblé l’entendre murmurer : Allons, allons, Dutrieu, venez, allez, on vous emmène ! ! !"

(1) Dont plus tard, elle deviendre l'épouse.
(2) Ayant accroché une cheminée, le Sommer fut détruit et le constructeur refusa de prolonger son engagement avec elle.


Hélène Dutrieu toute menue, aux commandes d'un Farman III qu'elle lance pour le décollage.